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June 17, 2016

17 juin 2016

A dotted trail to Altay

Sur les talons du petit Poucet en route pour l'Altay

Чемал, the name of a village, a name heard in Moscow from a member of the merry company who unfettered me from my tagged ivory tower to cheerfully release me to the noise and commotion of the city.* The mixed feelings I retained from this mildly boorish hunter, along with the lengthy detour required to visit this place, had earned it a spot on my list of “possible but improbable stops on my way to the East”.
However, the region had been mentioned many times, in most of my conversations with Russians interested in my travels. The mountains were beautiful, they all agreed on this fact, and those who had never been were adamant about it. But if the word “Altay” had been voiced multiple times, no one had been capable of giving me specifics… Until, once again, Russian ways worked their magic.

Чемал, le nom d’un village entendu à Moscou de la bouche d’un des joyeux lurons qui m’avaient tiré de ma tour d’ivoire pleine de graffitis pour me leurrer avec allégresse vers le mouvement et les lumières de la ville*. L’impression mitigée que m’avait laissé ce chasseur-pêcheur relativement bourru, alliée au détour que provoquerait la visite de ce village perdu de l’Altay, avait provoqué le classement de cet endroit dans la liste des étapes vers l’Est « potentielles mais peu probables ». Mais la région avait été mentionnée de nombreuses fois, dans la plupart de mes conversations avec des russes intéressés par mon voyage. Ils s’accordaient tous à dire que les montagnes étaient magnifiques, et ceux qui n’y étaient jamais allés n’étaient pas des plus silencieux.
Toutefois, même si le mot « Altay » avait été prononcé à de multiples reprises, nul n’avait été capable de me dire où ou comment… Jusqu’au jour où la magie russe opéra une fois de plus.

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I had thought about staying a few days only in Yekaterinburg, time to quickly check out the city and spend at least one day hiking in the Oural hills where I knew was a strange rocky formation called чертово городище [Chertovo gorodiche] or “the Devil’s fort”. However, my host Masha had completely integrated me in her routine, in her family, and in the English lessons she was giving. So when the agreed three nights at her home came to an end, I still hadn’t realized my Oural dream.

J’avais dans l’esprit de rester à Yekaterinburg quelques jours seulement, le temps de rapidement visiter la ville et de passer une journée au moins à marcher dans les collines de l’Oural où se trouvait cette étrange formation rocheuse connue sous le nom de чертово городище [Chertovo gorodiche], ou « fort du Diable ». Cependant, mon hôte Masha m’avait intégrée à sa vie quotidienne, à sa famille et aux leçons d’anglais qu’elle donnait, et lorsque mes trois nuits furent arrivées à leur terme je n’avais toujours pas réalisé mon rêve d’Oural.

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As we were sharing one of our last meals together, Elena, one of Masha’s friends and coworkers (and sometimes rival I believe), joined us and offered me to stay a few more days in the region, at her place. I gladly accepted her kind offer, and found myself participating in one of her lessons, visiting the interesting Yeltsin museum and witnessing the sad city circus in her company.

Alors que nous partagions l’un de nos derniers repas ensemble, Elena, l’une de ses amies et collègues (et parfois rivale me semblait-il), se joint à nous et me proposa de m’héberger pour que je puisse rester dans la région quelques jours de plus. J’acceptais avec plaisir son aimable offre, participais ainsi à l’une de ses leçons et visitais en sa compagnie l’intéressant musé Yeltsin et le triste cirque de la ville.

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I also took advantage of these few more days to reunite with the forest and the mosquitoes as I endeavored to follow the TransOural Trail… but it had changed into a river of red waters and algae whose growing depth forced me to turn around, improvise, and find my way to another village through unmarked sandy roads.

Je profitais de ces quelques jours supplémentaires pour me ressourcer en forêt, me faisant dévorer par les moustiques, alors que j’essayais de suivre le chemin du TransOural qui s’était malheureusement changé en rivière aux eaux rouges et algueuses de plus en plus profondes.
Avais-je dérangé le diable lors de ma visite de чертово городище? Était-ce lui qui m’obligeait à faire demi-tour, à improviser et à rallier un autre village par les routes sablonneuses de campagne?

Did I disturb the devil while visiting чертово городище? Was it his work?
If so, the devil ain’t so bad as he allowed me to discover a nice little lake, reminiscence of a few happy days of Canadian summer in Shuswap.

 Si ce fut le cas, le diable n’est pas complètement mauvais puisqu’il me fit découvrir un magnifique petit lac, souvenir de quelques heureux jours d’été canadien à Shuswap.

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Back in Yekaterinburg, I had the feeling that Elena had a slight preference for regaining the simplicity of her independence, while Masha desired to keep me a tad longer; a need for company, or a desire to instill regret in my heart upon leaving maybe… Whatever the reality was, it was time for me to go. I had to keep plowing eastward. Omsk was my next stop, and as usual I would reach this city by ways of the rails.
In my wagon, not only one but a whole three people spoke English, and Igor kidnapped me for the remaining hours of the evening. As it was, he was renting his Yekaterinburg flat to Marie, a French woman who had visited and written a book on Altay and Baikal (respectively). He kindly introduced us to each other via texts, and some days later, on the very day I was boarding for the unknown, for a detour towards the South most likely, we were finally able to contact each other. Following our exchange I didn’t know much more, but I had a name: Itkaya in Chemal, or rather Чемал.
Taking this as a sign of destiny I still don’t believe in, I decided that it would be the place.

De retour à Yekaterinburg, alors qu’il me semblait qu’Elena préférait légèrement regagner la simplicité de sa vie indépendante, j’avais le sentiment que Masha désirait quand à elle me garder plus longtemps; une envie de compagnie ou un besoin de me faire regretter mon départ peut-être.
Quoi qu’il en soit, mon heure était venue, il me fallait continuer vers l’Est. Omsk était ma destination suivante et, comme à mon habitude, je ralliais cette ville par voie ferrée. Dans mon wagon ne se trouvait pas une personne qui parle anglais mais au moins trois, et Igor me monopolisa pendant les quelques heures qui précédèrent le coucher. Il se trouvait qu’il louait son appartement de Yekaterinburg à Marie, une française ayant visité et écrit un guide touristique sur Altay et Baïkal (respectivement). Il me mettait gentiment en contact avec celle-ci, et bien des jours plus tard nous parvenions enfin à nous parler, alors même que je prenais la route vers l’inconnu, pour un détour vers le Sud vraisemblablement.
Après notre conversation, je n’en savais pas beaucoup plus, mais j’avais un nom : Itkaya à Chemal, ou plutôt Чемал. Ceci bouclant la boucle, j’allais donc là-bas.

My two trains brought me over many miles; from Tomsk to Trudarmieskaya and the white metal benches of its small train station where I dozed off for a few hours, and from Trudarmieskaya to Barnaul and its coffee, too long awaited, too hot in this Siberian heat, and too sweet, as the Russian tradition calls for, despite the efforts of Peter 1st who still succeeded in throwing tooth decay out of fashion.
During these two long rides, the horizon remained mostly unaltered: Short-grassed prairies, forests of Sylvester Pines or Birch trees, and gigantic fields sectioned here and there by a line of tall trees or by a small vale, or rather a short dip in the vast flatness.
But then, a bus took me from Barnaul to Chemal, and I discovered a changing scenery. The regular Siberian ground deepened here and there, green hills formed, a river could be seen along the road, the bottom of the valley widened and grew further, and finally the magnificent Altay mountains surrounded us; a consort of orange and grey shattered rocks, blue and yellow wild flowers on a bed of fresh wild grasses, tall trees of deep greens solemnly appearing against a background of bold blue skies and the constant Russian cotton clouds.

Mes deux trains avalèrent bien des kilomètres; de Tomsk à Trudarmieskaya et les bancs en métal blanc de sa petite gare déserte sur lesquels je somnolais quelques heures, ainsi que de Trudarmieskaya à Barnaul et son café trop longtemps attendu, trop chaud par cette chaleur sibérienne et trop sucré comme le veut l’habitude russe à laquelle Peter 1er essaya de mettre fin et ne parvint qu’en ce que les carries ne sont plus signe de richesse.
Ces deux longs trajets me montrèrent un horizon sensiblement inchangé de pairies aux herbes courtes, de forêts de pins sylvestres ou de bouleaux et de champs immenses, interrompus ici et là par une haie de hauts arbres ou par une petite vallée, ou plutôt un affaissement de la surface sur quelques mètres.
Puis ce fut au tour d’un bus de m’emmener de Barnaul à Chemal. Je découvrais alors un paysage changeant. La platitude sibérienne se vallonna petit à petit, des collines verdoyantes se formèrent, une rivière commença à longer la route, et la vallée se fit de plus en plus encaissée pour faire finalement place aux magnifiques montagnes de l’Altay : un mélange de roches aiguisées grises et orangées, de tapis d’herbes fraiches et folles et de fleur sauvages jaunes et bleues, de grands arbres vert profond se découpant majestueusement sur un ciel bleu intense dans lequel flottaient les éternels nuages cotonneux de la Russie.

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As I was arriving where I aimed to be, the sun was about to set a second time upon this everlasting odyssey of mine. I only had a name and a phone number, and knew full well that on the other side of the line I would obtain a very broken English at best, but I had gotten used to this weeks ago.
My interlocutor met me at the bus stop, brought me to the nearby hostel, and kept me busy while a heated discussion about my future seemed to take place. I understood that despite my reservation all beds were full.
As a consequence, they brought me elsewhere, out of the village and into the pools of a potholed dirt road, first in the comfort of a leather-seated car and then in the confines of a muddy 4x4. English was left behind, evening turned into night, and I wondered how much further this strange day would take me.
A few minutes later, the puddles morphed into a river which strong current ate at the slippery banks. It suddenly dawned on me that these were the unruly waters I had made a mental note about, hours and kilometers before, while quietly seated in the bus enjoying the scenery, unaware that an improbable navigation had been lying in my future.
It is with a doubtful mind that I transferred to a small motorboat, but upon seeing the pilot’s lack of hesitation I decided to entrust him with my life, if not with my state of dryness, thinking that having a waterproof bag would finally pay off.
This is more by way of drifting than advancing that he steered us to the other side, to a small arm of the river which strong flow we rode at full speed despite the darkness, the star on his left knee pointing the way. The fresh breeze of a summer night, the spray of the waves breaking against our race, the enduring golden lights of a sun almost at its solstice fighting against the night’s darkness and the growing stars, the unknown… An insane pleasure overcame me.
We landed on a small sandy shore, I was given a sleeping bag, and was led to a cabin at the end of what appeared to be a small prairie at the river’s elbow. No shower, pit toilets, no mosquito, the bells of a cow or a horse echoing nearby, suspended time holding the unvoiced promise of an uncivilized break. I was growing wings.

Alors que j’arrivais à mon village de destination, le soleil lui parvenait en fin de course pour la seconde fois lors de cette interminable odyssée. Je n’étais en possession que d’un nom et d’un numéro de téléphone et savais pertinemment qu’à l’autre bout du fil je n’obtiendrais, au mieux, qu’un anglais très approximatif, mais je m’y étais habituée il y a bien des semaines déjà.
Mon interlocutrice me rencontra à l’arrêt de bus, me fit passer la porte de l’auberge de jeunesse toute proche et me garda occupée pendant qu’un débat sur mon sort semblait prendre place. Je compris que l’auberge était pleine malgré ma réservation.
En conséquence on me conduisit ailleurs, par delà le village, par les flaques d’un chemin de traverse, douillettement assise sur les sièges de cuir d’une voiture abaissée, puis inconfortablement calée dans un 4x4 boueux. La langue anglaise fut laissée derrière, la soirée se fit nuit et je me demandai jusqu’où cette étrange journée m’emmènerait.
Quelques minutes plus tard, les flaques se transformèrent en une rivière dont le fort courant dévorait les berges glissantes. Je réalisais soudain qu’il s’agissait des mêmes eaux tumultueuses que j’avais remarquées bien des heures et des kilomètres auparavant, alors que j’étais encore tranquillement assise dans le bus à profiter du paysage, insouciante de cette traversée imminente.
C’est emplie de doutes que je grimpais dans une petite barque à moteur, mais à la vue du manque d’hésitation du pilote au genou gauche étoilé je décidais de lui faire confiance et de remettre ma vie entre ses mains, pensant que rester sèche était de toute façon peine perdue et que mon sac étanche dans lequel se trouvaient tous mes biens les plus importants allait surement se rendre utile.
C’est en dérivant plus qu’en avançant que nous nous dirigeâmes vers l’autre rive et un petit bras de rivière que nous remontions à toute allure malgré les ténèbres. Le vent frais d’une nuit d’été, les embruns des vagues se brisant contre notre course, les éternelles lueurs dorées d’un soleil quasiment à son solstice combattant le grand manteau de la nuit et des étoiles, l’inconnu… Un plaisir fou s’empara de moi.
Nous nous échouâmes sur une petite plage de sable, je me vis donner un sac de couchage et fus guidée à une cabane dans ce qui semblait être un champ terminé par le coude de la rivière. Pas de douches, des toilettes sèches, aucun moustique, les cloches d’une vache ou d’un cheval toutes proches, la promesse de quelques jours de répit, loin de toute civilisation. Des ailes me poussaient.

Twenty-six hours had passed by, twenty-six hours moving towards an unresolved future, catching connections growing more and more doubtful as cities and time zones were met and left behind. But no sooner than I arrived I started writing these words, suddenly too awake to sleep, the journey and the previous days’ exhaustion fading before the beauty of the land in the darkness.

Vingt-six heures s’étaient écoulées; vingt-six heures à me déplacer vers un insaisissable futur en passant par des villes aux fuseaux horaires changeants où mes connexions se faisaient plus improbables les unes que les autres. Mais à peine arrivée, je commençais à écrire ces lignes, bien trop excitée pour dormir, la fatigue de la journée et des jours passés s’estompant devant la beauté des lieux dans la pénombre.

The following days were spent between exploring prairie grasses and rocky summits, at the rhythm of the sandy river, the milking of the cows, and the passing of the occasional Russian tourist. I thrived on the wind of mad horse races through fields of grand white butterflies and tiny blue flowers, on the cold current of the river running behind my cabin and allowing for a heart-tingling skinny-dipping, and on tea, black as charcoal, shared in the company or Russians and Altays. Little by little, I felt my place grow among this tight and diverse group, from incomprehensible stranger to amusing woman with a thirst for understanding of their ways.

Les jours suivants se partagèrent entre découverte des hautes herbes et des sommets rocheux, au rythme de la rivière sablonneuse, de la traite des vaches et de l’occasionnel touriste russe. Je m’emplissais du bonheur des galops fous au travers des champs de grands papillons blancs et de petites fleurs bleues, je me gelais la peau et me réchauffais le cœur d’une toilette à la rivière qui courait derrière ma cabane, je buvais un thé noir comme du charbon en compagnie de russes et d’altays, et petit à petit je sentais grandir ma place dans ce petit groupe éclectique et soudé, passant d’étrangère ne parlant pas leur langue, à amusante personne ayant soif d’apprendre et de comprendre.

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I lived with them, listened to their conversations, snatching here and there a known word, I hiked and played with semi-wild horses and the little girl, cute as a fresh summer breeze, I declaimed the words the tattooed man threw at me, like a clever bear delivering his tricks, I dived from the little wooden bridge into the violent current at their side and under their amused eyes. I am quite sure I even managed to wiggle my way through the heart of the stern-looking young man who saw my arrival with a weary eye.

Je vivais avec eux, écoutais leurs conversations, décrochant ici et là un mot connu, me promenais et jouais avec les chevaux semi-sauvages et la fillette mignonne comme une brise rafraichissante, récitais les mots que le tatoué me lançait comme un ours savant répétant son numéro, plongeais du petit pont de bois dans le courant violent de la rivière à leur côté et sous leur regard amusé. Je suis quasi sure que je parvins même à me frayer un passage dans le cœur apparemment de glace du jeune homme grave et réservé qui m’avait vue arriver avec méfiance.

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But time ran short. Once again I had to go and leave everything behind, unable to communicate with words my thanks or my love for them and what they had offered me, incapable of saying goodbye to the little girl or to the enticing probably unsettled ex-con. A small embrace with one of the women and a few tears I attempted to hide… This was all I could express from my traveller’s heart meant to be broken at every step.

Mais l’heure du départ arriva. Une fois de plus je dû partir et tout laisser dernière, sans pouvoir dire par des mots ma gratitude ou mon amour pour eux et ce qu’ils m’avaient offert, sans pouvoir faire mes adieux à la fillette ou au troublant repris de justice peut-être épris. Une simple embrassade avec l’une des femmes et quelques larmes que j’essayais de dissimuler fut tout ce que je pu exprimer de mon cœur de voyageuse voué à être brisé à chaque instant.

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